Harcèlement de rue

Il y a deux jours, en trainant sur Madmoizelle, je suis tombée sur deux vidéos d’une future émission tv, Cam Clash : des acteurs recréent des situations de harcèlement en caméra cachée, et testent les réactions de témoins inconnus dans des lieux publics. Et bizarrement, beaucoup interviennent et remettent les agresseurs à leur place, protégeant les victimes.

Je suis ressortie le pif rougi, les yeux gluants d’espoir et la narine coulante (oui je suis une chouineuse invétérée) face au courage dont ont fait preuve certaines des personnes piégées. « ENFIN, les gens se bougent ! C’est BEAU.», me suis-je dis.

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Émue parce que, le harcèlement qu’on appelle aujourd’hui « de rue », en tant que fille, je le subis TOUS LES JOURS.
Du « Eh, salope ! » classique et bref au plus pernicieux bruit de bouche approbateur quand je traverse la rue, mon quotidien est une succession de commentaires vaseux, machistes et sexuels proférés par de sombres inconnus, que j’aille chercher mes serviettes hygiéniques en legging/pull de l’amoureux , rejoindre mes amis pour un verre l’été en jupette taille haute et sandales de plage à paillettes ou que je sois assise sur un banc un roman à la main, en jean et sac à dos.

Et pourtant.

Pourtant, étrangement, j’ai, comme mes agresseurs, minimisé le problème trèèèèèès longtemps.

Trop longtemps.

Il aura quand même fallu que j’ai 26 ans, et que des hommes aient posé la main sur moi trois fois en un an (lier à mon post de blog à venir) dans les transports pour que je commence à me dire qu’il y avait un souci. Pas facile quand la première chose qu’on me demandait suite au récit de ces agressions, c’était : 

« Mais t’étais habillée comment ? »

 

Heu.. ? Ça change quoi, au juste ?

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Comme si la jupe était un appel au viol, comme si l’homme était une bête primitive incapable de se contrôler, et que je l’avais bien cherché. Longtemps j’ai donc cru, dans le fond, que mes jupes, mes shorts, mon look excentrique, mes pompes, mon sourire béat de fille contente de vivre étaient les vrais problèmes. Et je ne me sentais pas franchement légitime de m’en plaindre.

Puis je me suis familiarisée avec des termes comme « culture du viol », « slut shaming » et autre « harcèlement de rue ». J’ai dû apprendre à réaliser qu’il y avait un souci dans mon analyse de la situation : NON, ce n’était pas ma faute, et j’avais le droit de me faire respecter.
Petit à petit, je me suis ré-approprié ma ville, et j’ai commencé à essayer de trouver mes marques, de reprendre confiance.
Cela grâce à divers articles lus à droite à gauche (notamment ici, sur Madmoizelle…), et à des projets intelligents et nécessaires comme celui de Thomas Mathieu,  » le Projet Crocodiles « , Tumblr qui illustre des témoignages de harcèlement de rue et de sexisme ordinaire, et qui donne des solutions concrètes pour les combattre.

Un peu rassurée par ces conseils pratiques et clairs, j’ai arpenté les rues avec une confiance nouvelle.

Il y a quelques semaines, j’ai pu commencer à mettre en pratique l’un d’entre eux. 

En entrant dans une rame de métro : un jeune homme assis en face de moi m’a dévisagée pendant plusieurs secondes, en commentant grassement. Il mangeait une endive (…non… ne cherchez pas, moi non plus, je pige pas) (mais là n’est pas la question). J’écoutais ma musique, je n’ai pas entendu ses mots, mais sa langue passée sur ses lèvres et ses mimes obscènes étaient plutôt claires. Il m’a alors interpellée, et demandé si « je voulais manger son endive. »
J’ai posément et fermement répondu :
– Non, ça va aller.
Mais il a continué. Gonflée à bloc, et ayant bien appris par cœur mes petits conseils anti-harcèlement, j’ai enlevé mon casque, et l’ai interpelé à mon tour.
– Excusez moi?
– Oui ? (lubrique, fier que je lui parle) (genre au cas où j’ai soudainement changé d’avis)
à haute et intelligible voix, pour que les gens autour de moi m’entendent clairement Est ce que vous pourriez arrêter de me fixer comme ça s’il vous plaît? Parce que ça me met vraiment très mal à l’aise.

Étonnamment, son regard s’est ouvert : interloqué, et visiblement surpris, il a acquiescé et s’est excusé, n’osant plus regarder dans ma direction les deux arrêts qui ont suivi.
Coup de chance, me suis-je dit : mais quand même.

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Énoncer clairement l’attitude de l’autre, le confronter droit dans les yeux avec calme et fermeté semblait déjà un bien bon début.
Mais je vous l’accorde, encore faut-il avoir de la patience (que je n’ai pas par exemple quand je descends de mon vélo pour un rdv pro et qu’un homme de quarante ans me siffle et me demande de le refaire devant lui : en général, ça finit en gros doigt et cris de putois. À NE PAS REPRODUIRE CHEZ VOUS).


Et puis il y a eu cette autre altercation, samedi dernier. Plus coriace.

Métro bondé, chaleur, énervement.
Je me glisse dans la rame avant que les portes ne se ferment. Deux mecs d’environ mon âge me voient arriver. Ils sont à coté de moi, l’un assis, l’autre debout. Salve de commentaires colorés que je devine malgré mon casque. Je coupe la musique, pour entendre ce qui se dit. Ça commente ma jupe, mon corps… ma vertu.
Fatiguée, je n’ai pas le courage de répondre. Je leur laisse un arrêt pour m’oublier, se calmer. Ça pouffe, ça rigole, ça me désigne du menton.
Je bous.
Je soutiens le regard de l’un d’eux, et enlève mon casque, signe que j’ai compris qu’ils parlent de moi. Ça ne suffit pas. Un autre arrêt passe. Les deux s’assoient finalement, et continuent leurs commérages en ma direction, comme deux petites commères à quelques centimètres de moi, fiers que je les vois en train de me rabaisser, soumise.

C’en est trop.

Je m’approche du premier, le feu aux joues, et lui parle droit dans les yeux (un peu moins self confident que la première fois, seule face à deux gars):
– Excuse-moi ? Il y a un soucis ?  Ça fait dix minutes que tu te me fixes, tu peux peut être passer à autre chose maintenant?
– …Tu parles à moi, là ? 
– Oui, « je parle à toi », puisque tu te fous de ma gueule depuis presque dix minutes. Je te vois et je t’entends, ça va, fais pas semblant. Donc si tu pouvais arrêter de me fixer avec insistance, ce serait gentil.
(Là j’ai l’air calme et sûre de moi, mais en vrai chaque mot venait avec un effort SURHUMAIN et ma voix avoisinait plus celle de la chèvre en mue que celle de la jeune fille en fleurs).

and then,THE RESPONSE:

– OH, t’as qu’à pas t’habiller comme ça aussi. Tu me donnes envie de te baiser, j’ai le droit de le dire, non ? HAHAHAHA.

À partir de là, ça a été LA GUERRE. 

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J’ai clamé que, jusqu’à preuve du contraire, j’étais dans un pays libre, et que j’avais le droit de porter une jupe. Que quoi, il n’avait jamais vu de jambes ?
Quand il m’insultait, j’essayais de ne pas surenchérir, juste de répéter ses mots, d’abord et surtout pour que la rame comprenne ce qui était en train de se passer.

« Ah, je porte une jupe DONC je suis une pute ? Tu te rends compte de ce que tu dis ? »

Ce charmant jeune homme m’a alors, sans surprises, accusée d’être « une chienne », d’être « une sale rate », « d’avoir chaud au cul », et m’a sommée d’aller me « laver la chatte », entre autres commentaires fleuris. Un classique.

Puis son camarade, le voyant à cours d’arguments, a finalement menacé de me taper (aaah, ben ça changeait au moins!) 

Le pompon.
Portée par la colère, je ne me suis pas démontée.
Je n’ai rien lâché. 
Je voulais tenir au moins jusqu’à ma sortie du métro.
Ne pas me faire écraser. Plus. Pour toutes ces fois où j’avais baissé la tête et feint de ne rien entendre, par peur, épuisement ou résignation.

J’ai donc de nouveau répété à très haute et intelligible voix ses propos en incluant la foule qui commençait à suivre la scène avec curiosité :
– Ah, alors en plus de m’insulter et de me rabaisser, tu vas ME TAPER?!  Là, tout de suite, devant TOUS CES GENS (je les ai désigné du doigt) qui sont en train de te regarder ? 

À ma grande surprise, une femme au loin a applaudit.
Une autre lui a crié « Ferme ta gueule, abruti!  rentre chez toi ! »
D’autres ont suivi, loin ou plus près de nous, et y allaient de leurs commentaires outrés.

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Je me suis sentie soutenue dans mon combat pour la première fois de ma vie.

Commençant à manquer d’argument question « pute en jupe » , leur nouvelle tactique a été de conclure :
– Mais t’es même pas bonne en plus!
Ce à quoi j’ai répondu que je n’en avais strictement rien à foutre d’être bonne, que je m’habillais pour moi et pas pour leur plaire.
Notre arrêt était arrivé: ils sont sortis les premiers, sous les huées des femmes du wagon, maugréant dans leur barbe, me traitant de thon, de pute et de chienne, mais de loin, pas trop fort. Et en marchant bien vite. Je me suis retrouvée dans un flot de bras et de corps féminins inconnus qui m’interpellaient et m’attrapaient par la main ou me tapaient dans le dos pour me remercier et me féliciter.
Première vague d’émotion à haute dangerosité lacrymale.

Quand une petite mamie s’est glissée à mes côtés dans l’escalator, tendre et rassurante, pour me dire que j’avais « bien eu raison de ne pas me laisser faire! », j’ai tout lâché.

Ouais… à ce moment là: j’ai pleuré.

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CONCLUSION:

Cette agression m’a prouvé plusieurs choses : évidemment, on ne peut pas changer les gens :un homme qui considère la femme comme un objet, le pense certainement depuis des lustres, et ne va pas changer d’avis en un scène de métro un peu houleuse.

MAIS :

1) Les hommes peuvent parfois ne pas se rendre compte de ce qu’est le harcèlement de rue, et de manière plus générale, le sexisme ordinaire  (voir les boulettes phénoménales de Guillaume Pley avec sa vidéo « comment embrasser une fille en 3 questions » ou de Cyril Hanouna avec Enora Malagré sur l’affaire Pharell…) (malaiiiiiise). Tout simplement parce que, n’étant pas la cible de ce phénomène, ils n’en mesurent pas l’impact réel.
C’est aussi à nous, femmes, de nommer le problème, et de le faire exister en témoignant au maximum. Beaucoup de mes amis me demandent encore « mais ça arrive vraiment à ce point? », l’ai incrédule. Leur dire que oui, à quelle dose, comment, et expliquer en quoi ce n’est pas normal, sans être agressive mais en expliquant surtout la souffrance que cela génère, c’est un bon début. Informer, informer, informer.

2) Les gens sont capables d’intervenir. C’est difficile, mais ça arrive : avec la bonne attitude, on peut se sortir de certaines situations angoissantes. Alors évidemment, il faut quand même mesurer le risque : si vous êtes seule, sans témoins, je conseille vivement la sécurité avant l’orgueil. Mais c’est rassurant de savoir qu’une femme qui dit non n’est pas perçue comme une hystérique. Encore faut-il que la scène soit bien comprise par les témoins. Donc se renseigner sur les attitudes à adopter peut être un vrai réconfort, et une vraie aide avec résultats.

Alors… on continue, et on en baisse pas les bras!

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Maureen Wingrove

(Diglee)