Lettre ouverte aux éditeurs qui ont peur de mettre une femme ronde sur leurs couvertures.

Cher éditeur,

Votre réponse m’attriste beaucoup.
Je vais donc essayer de vous expliquer ce que je pense de tout ça, et j’espère que vous prendrez le temps de me lire, et de faire remonter ce mail un peu plus haut.

Oui, vous me demandez « juste » de l’amincir. Or, moi, ce que je vois, c’est qu’il n’y a pas d’argument pour que cette femme soit plus mince (et qu’il m’en faut pour qu’elle soit ronde!)…
Ce que j’ai lu de sa description, c’est que c’est une jeune femme « forte et rockeuse », « tout en formes », « aux formes féminines très marquées ».

Je ne vois pas en quoi mon personnage, tel qu’il est représenté, serait antinomique avec cette description.

Je n’ai pas fait une femme obèse, encore moins non-séduisante. J’ai dessiné une jeune femme au regard coquin, aux formes pleines et qui dégage beaucoup de force, beaucoup de sensualité.

Mon rôle, en tant qu’illustratrice, c’est aussi d’injecter ma vision des choses, d’amener quelque chose de moi dans un dessin qui m’est demandé. Si l’auteure précise qu’elle est « tout en formes », c’est que cela doit apparaître, cela doit se voir.
Et cela ne passe pas que par une belle paire de seins (tout le monde  n’a pas le coach sportif de Scarlett dans la vie).

Donc quand vous me dites que vous ne me demandez pas une Barbie formatée (je tiens à dire à ce sujet que même Barbie a évolué aujourd’hui, et propose des poupées aux formes et couleurs de peau plus variées…  http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2016/01/28/une-poupee-barbie-retrecie-et-dodue_4855616_1656994.html) mais que votre phrase se termine par « faire maigrir un peu » et « mini jupe »… cela semble un peu ironique.

Ensuite, vous me citez Kate Winslet comme modèle (qui est mon actrice préférée, mais on s’en fiche ^^).
Je ne la pense pas bien plus mince que mon héroïne:

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Capture d’écran 2016-03-23 à 12.10.48
Capture d’écran 2016-03-23 à 12.10.43
Ce n’est pas vous directement que je blâme car, comme vous le dites, vous ne disposez pas de l’autorité nécessaire pour me valider ou non ce dessin (ou en tout cas, j’ai envie de vous croire sur ce point).

Si l’éditrice tient tant que ça à être proche du texte, peut être est-ce l’auteure qui serait la mieux placée pour nous dire si je suis à côté ou non. 

Quant à votre dernier paragraphe, je me permets de vous y répondre point par point:

« ce roman est une œuvre de fiction divertissante, elle n’a pas pour but de véhiculer un message, du moins je ne crois pas…
En quoi dessiner une jeune femme normale serait nécessairement un message?
Les jeunes femmes ayant cette morphologie n’ont elles pas, elles aussi, le droit de lire des livre, et de surcroît, de s’y reconnaître?
Je ne demande pas de dessiner une Femen, juste… une femme. Pas de message politique là dedans, d’autant que mon dessin, pour moi, colle au descriptif de l’auteure. Il n’est pas question de mettre une ronde pour mettre une ronde. Sur un autre brief, j’aurais fait une femme différente.
 
« Ces problématiques sont à des kilomètres de mes problématiques habituelles qui sont d’avoir une belle couverture pour aider un roman à trouver son publique. »
Que ces problématiques vous passent au dessus, je n’ai pas de mal à le croire, et dans ce milieu, c’est d’autant plus dur d’être alerte et attentif à elles.
Mais, excusez moi alors de vous demander en quoi, pour vous, ma couverture en l’état n’est pas « belle »?
Votre souci du « beau » sous entend-il représenter uniquement des gens beau, minces (blancs?)?
Mon héroïne, ici, pardon, mais je la trouve belle.

La minceur ou, « les formes à la Scarlett Johanson » n’ont pas le monopole du beau, j’en suis désolée. Et cela ne m’intéresse mais alors pas outre mesure de faire partie de ceux qui prêchent pour une société lisse et « belle », pleine de gens aux canons inatteignables et sans aspérités.

Juste pour conclure tout cela, parce que je sais que nous n’avancerons probablement pas tellement plus loin:

J’ai partagé le croquis de la jeune femme initiale (avec la veste en jean) sur ma page Facebook, suivie par 60 000 personnes.
Capture d’écran 2016-02-18 à 14.45.29
-170 000 personnes ont vu ma publication. 
-Plus de 3000 l’ont aimé, et 88 l’ont partagée. 
-J’ai plus de 250 commentaires, qui, tous, sont indignés de découvrir qu’on m’a demandé de faire mincir ce personnage, et clament la beauté de cette fille.
(Et ce n’était QUE Facebook.)
Les jeunes femmes (qui semblent être la cible de ce livre) la trouvaient sublime, étaient ravie de se voir ENFIN un peu représentées, de voir une héroïne qui les surprend, les séduit, leur ressemble.

Ignorer ce lectorat là, croire, encore, que seulement les minces ou « femmes pulpeuses parfaites » font vendre, c’est se tromper. C’est continuer de penser qu’un seul pan infime de notre société a le droit d’être représenté sur une couverture, (aussi « légère » soit-elle), et que se sont les seuls consommateurs.Donc si effectivement, malgré tout ce que je suis prête à vous dire, ou à faire pour ce roman, vous souhaitez à tout prix faire mincir ce personnage (quand je dis vous, je parle évidemment de la maison d’édition en général), alors je pense que je ne poursuivrai pas ce travail, car je n’ai pas envie d’être de ceux qui acceptent ce deal tacite.

Et cela me chagrine, parce qu’encore une fois, cette couverture en l’état, j’y crois très très fort , et je suis prête à communiquer dessus, une fois le livre sorti, même si je ne touche aucun droit d’auteur sur les ventes.
J’en parlerai s’il sort, parce que ce serait une belle réussite, d’avoir ce type d’héroïne en couverture de chick-lit.

Voilà pour « ce que j’en pense ».

Au plaisir de vous lire,

Maureen Wingrove
http://diglee.com