Premier jour d’automne.
Quelque chose flotte dans l’air d’incurablement spectral: ça sent l’humus et, chance absolue, il pleut. Mon son préféré. Comme chaque année à cette période, une envie irrépressible de bilan se fait sentir: je clique sur le poussiéreux onglet « worpdress » dans ma barre de favoris, ouvre la page « nouvel article » , et me voilà devant vous.
Préparez vous un thé, je sens que je vais m’épandre.
Peut-on d’abord s’extasier ensemble sur ma dernière trouvaille de brocante, j’ai nommé ce secrétaire en marquèterie absolument divin ?
(tout sur cette photo provient de recycleries ou de vides greniers, sauf la lampe Ikea, qui un jour, Incha’Allah, sera remplacée par un erstatz de lampe Tiffany en pâte de verre)
Si vous vous posiez la question, mon immense ambivalence n’a pas guéri: oui, j’ai une maison à la campagne, oui, j’ai exaucé mon rêve utlime, le sujet devrait donc être clos et mon bonheur inaltérable.
Sauf qu’il me faut toujours la quitter pour revenir à la ville, à la vitesse, au travail et aux autres. Et qu’une fois emportée par le bain bouillonnant de la métropole, mes rêveries de promenades et de jardin ne sont plus qu’un lointain souvenir.
(y’en a au moins un pour qui ça n’était pas dur de retrouver la fournaise Lyonnaise)
Cette rentrée en ville m’a littéralement roulé dessus.
Bruit, foule, bar bondé sous mes fenêtres, je me suis retrouvée en fin de semaine recroquevillée comme un vieux chien sur le carrelage de ma salle de bain à gémir « je veux du sileeeence! ». Je commençais à reprendre l’étrange habitude de vivre rideaux clos et casque anti bruit sur les oreilles, à écouter mes podcast pour m’endormir en enfonçant mes écouteurs dans mes boules quiès en cire, pour couvrir les cris d’étudiants ivres sur mon trottoir. C’en était trop. Et je me suis grondée: je me suis dis Ma grande t’exagères, tu chiales alors qu’une maison t’attend sagement dans sa forêt muette. Outrage!
Et c’est vrai, bon sang, ça me chagrine de ne pas avoir le réflexe de planifier un train et un taxi, pour me lever et me casser quand ça dégénère. Quand je n’en peux plus. Ouiii, mais voilààà, ça veut dire faire faux bond à des ami.e.s, rater ma chorale, calculer les horaires opportuns, faire des sacs, des provisions, faire garder mes chats ou trouver le courage de les emmener avec moi sacs sur l’épaule… nia nia nia, grand Dieu quel supplice!
(Oui, j’ai honte)
Une inertie à me ficher des claques.
Tandis que je chouinais contre ma baignoire donc, en mal de silence et d’espace, je me suis reprise par la peau du cou, et je suis partie retrouver ma maison, laissée close depuis fin août.
Après tant de drama, me voilà enfin installée sur celui que j’ai modestement baptisé « mon bureau d’écriture ».
Après une balade d’une heure sous la pluie au réveil, je me suis fait un thé, j’ai entrouvert le vélux du grenier pour profiter du chuintement de la pluie sur les noisetiers (n’en déplaise au déshumidificateur qui bossera un peu plus ce soir), allumé quelques bougies parce que mince, c’est le premier jour d’automne après tout, et me voilà, fin prête à vous rédiger mon maintenant rituel article « bilan ». Tout le monde s’en fout, mais je dois dire que je suis heureuse de tenir ici une petite chronique annuelle de ma maison.
Etrange maladie des écrivain.e.s: j’ai besoin de me relire pour me souvenir.
(ma balade matinale le long de la rivière, dans ma plus jolie tenue d’as de pique.)
Par rapport à mon billet rédigé il y a deux ans, je vous rassure: je vais mieux.
Radicalement mieux, même.
La TCC a fait son effet, et après un an de sessions bi-mensuelles, me voilà allégée d’une bien grosse angoisse.
La maison aussi va mieux: tous nos travaux en cours sont terminés. Extermination de la mérule: au top (infiltration de fongicide dans les murs, par une entreprise brevetée), consolidation des plafonds de la cave: impeccable (le tout pris en charge par notre assurance), réparation de notre poêle à bois défaillant, gainage de la cheminée et purge du système entier de chauffage, au top aussi, taille des arbres environnants pour laisser respirer les murs et faire entrer le soleil, impec’, bricolage approximatif de récupérateurs d’eau de pluie pour assécher les sols autour de la cave, nickel.
Enfin, la maison respire et guérit. Et nous avec.
Ma psy avait donc raison: Tout problème a sa solution.
On a même fait installer une nouvelle porte d’entrée, ce qui, symboliquement, a acté un vrai nouveau départ pour nous.
Pour la poésie, j’ajoute que nous avons adopté Christopher, notre super déshumidificateur qui chaque jour, à coup de bac de 5 L rempli en 3 heures, nous donne une idée de toute l’eau contenue dans l’atmosphère de notre chaumière.
Finie, la sensation de draps humides! À nous l’air sec!
Ça ne tenait donc pas à grand chose. Et c’est une chouette leçon de vie. Les vieilles maisons, ça s’apprivoise.
Cet été en tout cas, j’étais catégorique: je voulais passer tout le mois d’août dans ma maison.
J’ai pris mes chats sous le bras, leurs distributeurs de croquettes-leurs jouets-leur pâtée préférée, des livres à gogo, trois culottes en mérinos, un short, mes birk et mon ordinateur, j’ai débranché ma box et éteint ma chaudière, et j’ai dis adieu à la ville pour 31 jours. J’ai prévenu mes ami.e.s, et chaque weekend l’un.e d’entre eux me rendait visite.
Mon amoureux était avec moi, et on a nidifié. Lui rentrait sur Lyon deux jours par semaine pour le boulot, et pendant ce temps là moi, à une heure à pieds de la ville, j’écrivais, je lisais, ou bien je marchais dans le coton silencieux de la forêt.
Lecteurices adoré.e.s, je dois vous faire une confidence.
Pour la première fois de ma vie, j’ai aimé l’été.
Aimé, oui, les mots sont lâchés.
Moi l’éternelle gothique à l’âme anglaise, qui déprime au delà de 22 degrés à l’ombre, j’ai cédé. Comment ne pas succomber à la langueur des matinées roses, aux fourrures de mes chats assoupis sur la fenêtre au soleil, aux promenades en forêt, aux soirées tièdes passées dehors à rire et jouer aux cartes?
C’était de ça, dont je rêvais si fort. Une maison ouverte et joyeuse pleine du bruit de mes ami.e.s, de nos éclats de rire et du tintement des couverts au crépuscule, une maison éclairée le soir, fenêtres ouvertes sur le jardin bleu, l’odeur du café et les draps qui sèchent au soleil.
Au coeur de l’été, on a même rencontré Clotaire, la vipère du tas de pierres.
Une bien belle bête au corps trapu de 60 cm de long, qui se faisait dorer au soleil à la mi-août. Moi qui avais passé des heures à désherber le-dit tas au printemps, j’étais ravie qu’il abrite un peu de vie, cette vie fût-elle terrifiante.
Les copines et les copains ont défilé tout l’été, et on a chanté, bu du café, mangé des lasagnes végé, fait des randos et des brocantes, et tout ça était follement joyeux.
Cet été, j’ai aussi beaucoup, beaucoup écrit.
800 pages de gros chantier, que je m’apprête à disséquer et organiser avec mon éditrice. Mais je vous en reparlerai bien vite!
Quels meilleurs compagnons d’écritures que des chats, s’il vous plaît?
Tout ça était furieusement nouveau, et tellement doux: l’évolution spatiale aérée et libre, dans une maison enfin à nous, la cohabitation quotidienne apaisée avec mon amoureux, une surprise pour nous si sauvages (chacun sa pièce, chacun son lit), les ami.e.s qu’on pouvait enfin loger par deux ou par trois, dans les combles ou dans la chambre d’ami.e.s, et le jardin, ô, le jardin, où je passais 97% de mon temps. Mon royaume.
L’extérieur, de manière générale, me panse beaucoup.
Juste, être dehors. Boire du thé dehors, lire dehors.
C’est nouveau, cet appel de l’extérieur, je ne crois pas que j’y étais si sensible avant. Avant quoi?
La forêt, la rivière et le silence comme nouvelles amarres, ce silence réparateur et total, enfin non d’ailleurs pas total, un silence mat mais piqué de chants d’oiseaux ou de grillons, de vent, de pluie, c’était tous les jours un immense réconfort.
Tout ça m’a considérablement allégée.
Je faisais peau neuve et je m’occupais autrement, loin des écrans (sauf pour s’enquiller la saga Twilight en DVD avec les copines, bien sûr).
Ici, il y a toujours quelque chose à faire, une plante à tailler, un meuble à réparer, un gâteau à faire pour le goûter, la cave à vider, le bois pour l’hiver à ranger. (Trois heures pour ranger ces trois stères par exemple: des épisodes du podcast AMIES dans les oreilles, et c’est passé tout seul)
Je n’ai pas touché mon porte monnaie pendant des semaines, sauf pour les courses. Je ne me suis pas maquillée, si peu coiffée, et j’ai porté les mêmes fringues tout l’été. Chaque fois, c’est la même chose, ici je me dépèce de strates lourdes, de tous ces vieux gestes appris en ville, et c’est une renaissance déroutante. Ce genre de moment d’épiphanie pendant lesquels on se dit, coupable, Je n’ai donc besoin que de ça ?
Bien sûr, parfois le craving bobo de Latte avoine/librairie/friperie revient en force, un craving de consommation finalement, parce qu’en ville c’est comme ça qu’on tue l’ennui, en achetant des choses. Alors dans ces moments-là on prend la voiture et on file explorer les bourgs voisins, faire les marchés du samedi et boire des cafés glacés. Un jean et un t-shirt d’occasion à ma taille, et la dopamine était relancée.
Mais l’ensemble de mes habitudes de consommation s’est amenui, réduit à peau de chagrin, et je dois dire que ça a chamboulé pas mal de vieilles croyances. De quoi ai-je réellement besoin, au fond ?
De retour en ville, si au départ j’ai été happée par la fulgurance de la rentrée, le boulot, les copines à revoir, les cafés à partager, les dej pris sur le pouce par flemme de cuisiner, la papeterie de rentrée, les cinés, les rencontres littéraires, les cours de chant et les karaoké entre ami.e.s, assez vite tout ça m’a épuisée.
(Ne tient qu’à moi de faire moins, vous me direz.)
Mais c’est drôle, en ville je ne sais comme… plus faire.
Parfois le week end j’aimerais juste marcher au calme, m’assoir et lire sous un arbre, ou me mettre au lit à 21h30 dans le silence.
Or partout où je vais, il y a les autres, leur bruit, leur corps, et je ne sais pas toujours m’en accommoder. Je cherche sans cesse le dehors, mais le dehors urbain m’aggresse. Le bruit de sa circulation, ses travaux et ses klaxons, (les gens qui téléphonent en haut parleurs, quelle est donc cette nouvelle diablerie?) tout me heurte, alors je file à vélo dans un parc pour souffler, en quête d’un bout de prairie où m’étendre. J’y parviens, parfois, et d’autres fois un cours de zumba s’installe à deux mètres de moi, ou une course dans le vélodrome égraine ses cris de liesse dans un micro qui résonne sur le lac. Alors je tourne et je tourne, vieille ourse mal léchée en quête d’une grotte où disparaître.
C’est nouveau, cet inconfort, j’ai pourtant si longtemps été citadine.
Je le suis encore d’ailleurs, je n’ai pas eu le courage de tout lâcher, d’apprendre à conduire et de dire merde au béton et aux cafés vegan. Je suis là, indécise, lâche et mal calée entre deux univers qui ne s’entendent pas.
Je cherche encore ma juste place, si tant est qu’elle existe.
Mais je chéris ma chance. Ma chance inouïe d’avoir un refuge où m’enfuir, ou recharger mes batteries.
C’est encore nouveau, toujours à peine croyable, d’où ces billets inégaux au goût de Ouin-Ouin.
Je prends doucement la mesure de ce que j’ai accompli, et tente de m’adapter.
L’automne démarre, ma saison préférée. J’ai une maison. Un petit bureau d’écriture, et de la soupe au frigo. Tout l’or du monde.
Le jour décline par mon vélux entrouvert. Mes bougies ont fondu. D’inconnus rongeurs courent au dessus de ma tête dans le toit (il va falloir s’en charger mais je n’arrive pas à m’y résoudre), et je vais bientôt fermer mes volets sur la forêt et son monde invisible. Dans quelques heures je serai seule parmi les arbres et leur fantômes.
Je m’en vais me gaver de ce précieux silence, avant de revenir, bancale mais rassasiée, me fondre à nouveau dans la foule.
Joyeux automne à toustes, et merci de m’avoir lue.
Diglee
Merci pour cette poésie qui introduit et célèbre si bien la plus belle saison du monde (en toute objectivité). Quel petit coin de paradis sur ces photos. Bel automne.
C’est doux à lire depuis mon propre terrier, petites lumières et mignonne bougie, une tisane comme envie furieuse. C’est doux à lire dans le piétinement de septembre, alors que le trop et le trop peu s’alternent et laisse un peu pantoise.
C’est doux, alors merci.
Ça compte, les histoires de lieux à soi. Tant.
J’adore tes stories quotidiennes et particulièrement quand tu es dans ta maison. Un petit cocon dans la nature ❤️ ça donne tellement envie !
Oh que j’aime te lire. Oh que j’aime ce format. Je suis si heureuse de lire ton article, avec un thé bien chaud à la main. Chère Diglee vous ignorez à quel point vos mots – qu’ils soient écrits ou pronnoncés, photos, et dessins m’apaisent. Merci infiniment pour ça!