Ode au vide

   Hier soir, j’ai fait brûler de l’encens.

   Je suis allée chercher, dans ce que j’appelle mon “placard à magie”, une petite boîte en carton rapportée de Florence et remplie de grains résineux (Incenso Monastico di betlemme, dit l’étiquette). Puis j’ai fouillé encore le-dit placard, dont l’odeur capiteuse vous saisit à la gorge dès l’ouverture, soulevé mes pochons de satins et de tulle amassés dans un bocal rempli de cierges pour en extraire une barre de charbons à brûler. Parmi les brins de sauge séchée, les pierres précieuses et les flacons de verre, j’ai aussi exhumé mon petit encensoir en métal rouge, orné de symboles dorés.

  Des années que je ne m’en étais pas servie. Je trouvais le rituel fastidieux, l’allumage du charbon, l’attente, puis la surveillance de la braise et l’alimentation constante de la fumée. C’était beaucoup, ça demandait du temps que je n’avais plus. Mais ce soir, j’ai eu besoin de cette lenteur. De cette minutie.

  Sortir un charbon de son emballage d’aluminium, le placer dans la flamme d’une bougie à l’aide d’une pince qui tient les étincelles loin des doigts. Admirer le crépitement dans son ventre, ses minuscules explosions, éviter de respirer la première fumée, trop rugueuse et trop noire, attendre les éclats d’orange qui surviennent vite. Placer la petite braise chaude sur la grille de l’encensoir, et pour le plaisir, souffler. Regarder le rouge s’épandre. Lorsque le petit galet devient un cœur chaud, y déposer avec soin quelques grains d’Oliban ou de myrrhe. Les voir fondre, couler, carboniser. Attendre comme une récompense l’épaisse fumée, celle verticale et laiteuse qui recouvrira tout.

   Hier soir j’ai fait brûler de l’encens. Mes gestes étaient méthodiques et ancestraux. En les accomplissant, moi païenne athée, j’ai volé aux Anciens leur orchestration du silence. Du vide. Je me suis livrée à cette émanation sacrée, sans pensées et sans but, pour le simple plaisir de m’offrir tout entière à l’inutile.

   Lorsqu’enfin l’opaque nuage s’est dissipé, l’appartement s’est mis à embaumer l’église. Je me suis alors versé une tasse du thé qui infusait à mes côtés depuis le début, un thé noir aux épices et écorces d’orange, et j’ai démarré ce texte. Boucle infinie.

   Rituel et écriture servent la même cause: interrompre le temps, le tordre pour le plaisir égoïste de mieux l’éprouver. Comme une mise en abyme infinie, je brûle l’encens, puis j’écris sur l’encens qui brûle.

  La gratuité farouche de ces deux occupations m’aura libérée, pour quelques heures, du poids du monde. Gourmande, j’ose prolonger ma fuite, en partageant ici ces lignes vaines.

   Ode au rien, ode au vide, et aux heures comblées de silence.

Diglee

Commentaires

  • Valérie dit :

    Juste merci, c’est toujours doux de te lire.

  • Camille dit :

    Encore un si doux texte qui nous fait ressentir ces odeurs et ces émotions, ce calme et ces douces lumières.

    Merci

  • Alexandra dit :

    Le silence, une bougie, un thé noir potiron/carotte et un livre voilà mon Ode du moment.
    Je pense à moi et seulement à moi, ce qui ne m’étais pas arrivé depuis des mois.
    Ton texte est très beau et me parle 🙏

  • ALB dit :

    La douce magie de la lenteur et des gestes rituels. Merci.

  • clairebelgato dit :

    Merci pour ce joli texte qui me parle beaucoup également. Les rituels apaisent l’âme. Que l’on soit croyant ou non. De mon côté, c’est la lumière d’une bougie qui m’apporte cette paix.Belle et douce année 2023.

  • Florence dit :

    Merci pour ce temps suspendu …

  • Catherine L'hommée dit :

    Merci pour ce moment paisible tout en douceur.
    Les heures comblées de silence ne sont jamais vides parce qu’elles nous permettent de tout absorber et de nous connecter au Moi, trop souvent négligé…
    Tous simplement Merci !

Laisser un commentaire

*

Commenter