Lectures 2019 partie 1

Bonjour à tou.te.s!
Tout d’abord, je vous souhaite, à vous rares lecteurs et lectrices qui passez encore par là, une douce et lumineuse année 2020.

2019 terminée, il est temps pour moi de faire un retour sur mes livres lus cette année. Depuis deux ou trois ans, j’essaie de m’imposer de lire plus, de renouer avec l’aspect méditatif et sensoriel de la lecture que j’aimais tant avant de travailler à plein temps en tant qu’illustratrice et écrivaine, et de me couper un peu des écrans (spoiler alert: pour ce qui est des écrans on est encore loin du compte).

Je suis plutôt heureuse, car 2019 a été riche en expériences littéraires bouleversantes.

J’ai décidé de rassembler ici tous les retours lectures que je vous ai postés tout au long de l’année sur mon instagram… (ici mes lectures 2018) en complément de ma première petite vidéo dans laquelle je vous parle de mes coups de coeurs littéraires de 2019, toujours sur Instagram.

En espérant que vous puiserez dans ces retours quelques inspirations ! Je scinde mon article en 2, pour plus de facilité de lecture.

Première partie

1) Lettres à Guillaume Apollinaire, Louise de Coligny Châtillon

diglee lou apollinaire copie

Quand les libraires de la librairie Le Silence de la Mer à Vannes m’ont offert ce livre, mon coeur a bondi dans ma poitrine. Vers 17-18 ans, j’avais lu l’autre versant de la correspondance, les célèbres « lettres » (et les poèmes) à Lou » d’Apollinaire (j’en parle ici). Cette myriade de poèmes, calligrammes et lettres enfiévrées avait définitivement marqué mon imaginaire érotique et amoureux. Je rêvais d’un poète qui m’écrive de telles missives brûlantes du fond d’une tranchée. Forcément, je me l’étais imaginée, cette Lou qui le rendait si fou: elle était devenue pour moi une sorte d’idole, une femme mystérieusement séduisante.

Sauf que, lorsqu’on lit Lou, elle est à mille lieues de l’image qu’on peut s’en faire, surtout à 17 ans. Lou a la gouaille. Elle est triviale, farceuse, piquante, cochonne, taquine, jalouse, parfois même un peu rombière. Elle signe « ton ptit sifflet à deux trous », et elle vient balayer les clichés sur les femmes et leur « douceur » ou leur « passivité gracieuse ». Évidemment, ça écorne le rêve d’adolescente. Et tant mieux! Voilà un portrait réel, plein d’humanité, de ratures, de grossièretés, d’envolées comiques… de poésie, aussi. Une femme libre (amants, gigolos, fessées, masturbation dans un train), une femme agressive parfois et une femme solide. À l’image de ces chanteuses de cabaret aux plumes un peu trop vives et aux paroles goguenardes, Lou fait rire, surprend, dérange. Ça m’a fait du bien de secouer un peu mes fantasmes d’adolescente, et de les déniaiser.

Ode à Lou!

2) Devotion, Patti Smith

diglee patti smith

Alors là, je suis partagée. J’aime Patti Smith d’un amour incommensurable. J’aime tous ses livres (M. Train <3 <3) , j’aime ce qu’elle est, ce qu’elle dégage, et jusque là je n’ai jamais rien eu à redire.
Mais là, je suis… perplexe. Toute la partie autobiographique est fabuleuse, ses errances à Paris, sa manière d’écrire, ses pèlerinages sur les tombes de gens qu’elle admire, comme la maison d’Albert Camus qu’on lui fait visiter. Mais le cœur du livre, la nouvelle qui donne son titre au livre, « Dévotion », m’a profondément dérangée. Je n’ai peut être pas saisi certaines nuances. Je n’ai peut être pas trouvé la clé. Mais cette jeune patineuse qui se fait entretenir par cet homme de quarante ans, leurs rapports sexuels décrits comme tels (quand moi j’entends « viol »)… je n’ai pas su quoi en faire. Je n’ai pas compris. Patti explique bien dans quel état d’esprit elle l’a écrit, comme cette histoire a jailli d’elle dans un train, avec toute sa noirceur. Et je sais qu’elle est extrêmement engagée pour la cause des femmes. Donc je sens que j’ai loupé quelque chose. Et du coup je suis… perdue. Évidement ça parle d’une prise de pouvoir puis d’une libération… mais l’horreur subie est trop peu dénoncée, le lien avec la filiation et l’abandon des parents trop flou… non… Je ne sais pas.
Je passe. Mais Patti je t’aime toujours.

3) Autumn, Philippe Delerm

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Dernier livre terminé ces premiers jours de janvier, péniblement, par devoir plus que par plaisir: Autumn de Philippe Delerm.
C’était pompeux, c’était looooong, c’était vide…
On suit la vie du groupe des pré-Raphaëlites à Londres. L’ambiance est aux arbres rouges et à la brume matinale épaisse et froide. Tout était là pour me plaire, le pays, le siècle, le courant artistique, la saison… mais je me suis ennuyée au possible. J’ai même été sidérée. Tant de choses qui ne sont pas abordées du caractère abusif de Rossetti envers Lizzie Siddal, une espèce de sympathie tendre de l’auteur pour ce crasse de peintre qui se noie dans l’orgueil, la drogue et les prostitués tout en clamant sa grandeur d’âme, sa pureté et son talent…
Et je ne parle même pas des dizaines de pages qui sacralisent les sentiments du pauvre John Ruskine pour, tenez vous bien… une enfant de 6 ans. Le peintre se plaint dans de longues lettres détaillées et geignardes de la société puritaine qui l’empêche de formuler son « amour » si pur pour cette petite. #vomi
Florilèges d’énormités, fond de boysclub sans complexe, et style mortellement ennuyeux… Non vraiment.

Next.

4) À son image, Jérôme Ferrari

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J’aime beaucoup beaucoup Jérôme Ferrari. Depuis Le sermon sur la chute de Rome, j’attendais son prochain roman avec impatience. Il y a beaucoup de choses que j’ai aimées dans celui-ci. Le fait que son héroïne soit habilement écrite, et pas inutilement érotisée, par exemple. Antonia est une jeune femme Corse qui s’éprend de photo lorsque que son oncle, le narrateur, (un prêtre) lui offre un appareil pour son anniversaire. Elle aime photographier pour s’extraire de la petitesse de sa vie de femme de bagnard. Mais le goût du risque prend le pas, éros et thanatos, et ses photos la rapprochent inexorablement de la mort. Elle devient photographe de guerre. Va sur le terrain, en pleine guerre de Yougoslavie, et capture les chairs meurtries, les orphelins, les cadavres dans la poussière.
C’est une lecture abrupte et cruelle. Très religieuse aussi. D’une manière plutôt mystique que catholique.
Mais ce que j’ai aimé ce sont plutôt des détails. C’est la justesse avec laquelle il parvient à décrire ce qui semble si féminin: comme ces relations sexuelles qui ne sont ni consenties ni réellement imposées. Cette zone grise entre agression et rapport sexuel, lors des premières fois (dont parle si bien Annie Ernaux dans Mémoire de fille), cette zone grise nourrie de ces clichés sexistes qui apprennent aux petits garçons à « prendre », aux petites filles à « offrir ».

extraits:

« Antonia cessa de lutter. Elle se sentit trahie par la docilité de son corps qui s’offrait mollement, elle s’entendait gémir alors que la vulgarité insigne de cette voix d’homme, pleine d’un désir qui ne la concernait même pas, faisait voler en éclat ses rêves d’encens, de tendresse et de draps blancs »

J’ai adoré aussi que le narrateur s’émeuve des vergetures de la seule femme avec qui il fait l’amour, qu’il appelle « d’imperceptibles marbrures à la naissance des seins, au pli de l’aine, comme l’esquisse des déchéances à venir ».

Bref. Il y avait de la grâce.

4) Le mur invisible, Marlen Haushofer

diglee mur invisible

Mon coup de coeur de l’année! (et le vôtre, puisque depuis cette chronique, le livre a été réimprimé cette année, et connaît un succès incroyable en librairie)

J’ai dû attendre un jour complet avant de faire ma chronique de ce livre, tellement il m’a secouée.
Au cours d’une balade à la Fnac de Lyon, je suis tombée sur ce roman mis en avant par les libraires, et dont je ne savais rien: la couverture m’ayant attirée (et le fait que ce soit une autrice),  je l’ai pris et en ai lu quelques pages au hasard, debout dans les rayons. Les larmes me sont montées immédiatement. J’ai rapidement parcouru le dos, mais je savais déjà qu’en rentrant, j’allais le lire. C’était comme un appel inexpliqué, une certitude trouble, intuitive.
Résultat: trois jours de lecture avide. Je n’ai pensé qu’à ce livre, vécu que par ce livre, en apnée, happée, consumée.

Le pitch (qui, comme ça, sur le papier, ne m’aurait pas du tout attirée… et pourtant!): une femme part en vacances à la forêt chez des amis. Mais un matin, un mur invisible s’est érigé dans la forêt, et tout ce qui est de l’autre côté du mur semble mort. Elle se retrouve donc seule, sans savoir ce qui s’est passé, accompagnée d’un chien qui n’est pas le sien. Commence la survie… et la liberté, aussi.

Ce livre est indescriptible. Le ton oscille entre tension, angoisse, et plénitude, douceur, sérénité. J’avais envie de franchir le papier et d’être avec elle dans cette clairière. Je ne pensais QU’À ÇA, nuit et jour. Le texte est écrit d’un bloc, sans presqu’aucun chapitre ni paragraphe, comme un cri, un souffle, quelque chose qui qui vacille et est prêt à mourir. C’est une fine réflexion, relativement sombre, sur l’humain, la violence, la nature, l’isolement, notre lien aux animaux, la féminité vieillissante…

Le texte date de 1963 et porte les stigmates d’une époque qui craint l’arme nucléaire. La peur d’une arme nouvelle, qui détruirait le monde, palpite en filigrane. La menace plane, qui ternit la douceur d’une vie au rythme des saisons et de la lumière.
Sorte d’hybride entre La Route de Mc Carthy et Walden, la vie dans les bois de Thoreau, mais écrit par une femme. Dont le héros, l’héroïne, est une femme. Les codes du genre sont balayés, pulvérisés: pas d’homme protecteur ou de femmes faire-valoir. La figure de l’ermite est revisitée, et à la nécessité de survivre s’ajoute la conscience intrinsèque qu’être seule, sans homme, dans un tel contexte, la sauve et la libère.

Je sais déjà que jamais, jamais je n’oublierai cette lecture. Elle m’a meurtrie, elle m’a nourrie, elle m’a marquée au fer.
edit: Un an plus tard, j’ai envie de le relire.

Bon sang, lisez ce livre!
(Il y a aussi eu un film Allemand qui paraît-il, vaut le détour!)

5) Truismes, Marie Darrieussecq

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Trois ans que j’avais acheté ce livre sur un vide grenier en me disant « il faut que je le lise ».
Le coup d’envoi, ça a été la masterclass qu’a donnée Marie Darrieussecq sur France Culture il y a quelques semaines. Je me suis dit « c’est maintenant ! »
Et ça a été une lecture… viscérale! Très déroutante, une lecture qui reste, qui marque.
Il y est question de métamorphose, mais contrairement à la métamorphose Kafkaïenne, qui part d’un état à un autre et qui est définitive, ici il est plus question de boucles. De cycles, de maîtrise (ou non) de son animalité. Ensuite, il y a, en toile de fond, la violence sexuelle faite aux femmes, et les dangers de l’extrémisme politique. L’héroïne, un peu naïve, peu cultivée, ingénue même, fait les frais de l’appétit carnassiers des hommes, et d’une société étrangement dictatoriale, dans laquelle la SPA a tous les pouvoirs et les émigrés sont exterminés.
Rhaaa, c’est impossible à résumer sans trop en dire. J’aurais tant aimé ne pas connaître le postulat de base, pour me demander ce qui arrive à l’héroïne au fil des pages… Mais j’ai beaucoup aimé!
Et certains passages étaient d’une poésie…

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6) Frankie Adams, Carson Mc Cullers

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Frankie Addams, en anglais « the Member of the wedding », est le troisième roman de Carson Mc Cullers, qu’elle rédige à 29 ans.
C’est l’histoire de Frankie, une adolescente de 12 ans un peu bougonne, piquante, révoltée et surtout terriblement seule. En ce mois d’août du sud américain moite et lascif, Frankie, qui vit avec son père, sa nounou/domestique/mère de substitution Bérénice, une femme noire d’une quarantaine d’année, et John Henry, son cousin de six ans fragile et dévoué, apprend que son grand frère va se marier. Et dès lors, son quotidien bascule.
L’idée que pour certains, un « nous » soit possible, elle qui n’a jamais vécu autrement qu’en « je », la submerge (voir extrait dans les photos suivantes).
Sa mère est morte à sa naissance, et elle a le sentiment que sa vie n’est que passivité et vacuité dans cette petite ville caniculaire du sud. Alors, elle change son prénom, pour tenter de retrouver le contrôle de sa destinée (comme l’autrice d’ailleurs, qui de Lula Carson passe à Carson tout court).

Ce roman est vraiment éprouvant. Tout pourrait toujours basculer, et l’écriture est dense, le rythme complexe, nerveux.
Mais il y a tant de passages sublimes: la discussion de fin dans la cuisine m’a émue aux larmes: Frankie explique à Bérénice qu’elle se sent prisonnière de sa vie, et cette dernière lui répond qu’elle la comprend… mais qu’elle même, en tant que femme noire, vit encore plus fort cet empêchement.

Écrit en 1946, en pleine ségrégation noire, il est d’une modernité incroyable (j’étais même surprise de découvrir la date de rédaction du texte): l’autrice y dénonce le racisme, mais aussi les agressions sexuelles faites aux femmes, et crée des personnages bien loin des stéréotypes de genre (John Henry, à la fin du livre, porte des talons et un boa de plumes <3)
C’était suffocant et effréné, à l’image du mal être dramatique de certains adolescents. Mais c’était aussi très tendre… et très triste.
Sublime!

(Merci @marvin.darling pour ce conseil lecture!)

frankie adams cullers diglee

(Un super podcast à écouter pour découvrir Carson Mc Cullers)

7) Nous avons tué Stella, Marlen Haushofer

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Deuxième roman, très court cette fois, de Marlen Haushofer, écrivaine du Mur invisible.
Je pense que jamais couverture n’a aussi bien retranscrit l’ambiance du livre qu’elle abrite.
C’est le récit glaçant et honnête d’une femme épouse et mère, qui va être témoin de la destruction larvée et inéluctable d’une jeune femme, sous ses yeux, sous son propre toit.
Destruction dont elle est complice, et qu’elle analyse tout le long du roman, en même temps qu’elle décrit sa prison dorée: celle d’un couple qui fonctionne sur l’abus, le mensonge et la domination (à l’image de cette main, lourde et chaude, que pose son mari sur son épaule tous les soirs dans le lit: « tu es à moi »)

Il est question des femmes et des pièges qui leur sont tendus dès qu’elles passent de petite fille à objet de désir, et des rapports de force: hommes/femmes, mère/fils, père/fille, mari/épouse.
À l’instar de cet oisillon abandonné dans le nid au début du roman, qu’elle entend appeler à l’aide dans le froid et qu’elle n’arrive pas à aider, Anna s’étonne (et s’excuse?…) de la passivité qui l’a saisie alors qu’elle était témoin, chaque jour, du glissement progressif de la jeune Stella vers une mort certaine.
Lecture éprouvante et dénudée, furieusement sincère: cette mère résiliente et solide m’a bouleversée.
Décidément une écrivaine à lire.

8) Mes vies secrètes, Dominique Bona

bona diglee mes vies secretes

Fabuleuse fabuleuse lecture.
Comme je vous l’ai déjà confié en Story (ou dans cet article et celui ci), je lis les biographies de Dominique Bona depuis environ six ans. Tous ses portraits sont incroyables, d’une précision chirurgicale et sans jamais aucun ajout incongru: elle se base sur les faits, creuse, enquête, et décortique journaux intimes, correspondance, archives en tout genre pour ne nous offrir que la substance organique du réel (même si celui-ci est tout à fait romanesque). Chacune de ses biographies est une plongée dans une destinée hors du commun, et se lit comme un roman.
Tout est fabuleux sous sa plume, tout prend vie, et surtout: tout est VRAI. Et c’est précisément la source de cette quête de véridique qu’elle questionne dans « mes vies secrètes ». Pourquoi le choix de la biographie, plutôt que du roman, elle qui avait pourtant commencé par la fiction?

Dominique Bona nous emmène dans les coulisses de ses enquêtes, et la suivre est un jouissif: elle décrit les maisons de ces artistes, qu’elle parvient presque toujours à visiter même à l’autre bout du monde, ses rencontres avec des collectionneurs passionnés ou avec la descendance des sujets de ses livres qui lui donne accès à de véritables trésors.
Mais elle réfléchit aussi à ce qui la lie tant au trivial et au réel, plutôt qu’à l’imaginaire.
Peut être se livre t’elle bien plus dans sa manière de raconter les autres que dans l’exercice plus hypocrite de l’auto-fiction.
Je le crois bien volontiers, parce que les artiste qu’elle choisit se ressemblent tous (lui ressemblent?): ielles sont rebelles, indiscipliné.e.s, érotiques, violent.e.s ou passionné.e.s, mais toujours en marge de leur milieu social, de leur genre, de leur famille, ou de leur profession. Et pour cette Académicienne si érudite, à la prestance altière et droite, il n’est pas anodin de nous parler de sa passion pour Pierre Louÿs ou les correspondances amoureuses brûlantes. Elle nous livre, je crois, avec pudeur et malice, son propre portrait en creux, celle d’une femme Lion, indocile, qui aime (forcément) le soleil, la passion, l’interdit et la liberté.

Bona un jour, Bona toujours.

9) Calamity Jane, lettres à sa fille

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Lecture inattendue!
Une amie m’a conseillé ce livre il y a quelques semaines, et je suis tombée dessus par hasard à la librairie de la @labnf à paris. Je l’ai immédiatement acheté, confiante, et quelle belle surprise!
Il s’agit des lettres que Calamity Jane, la vraie, l’unique, la légende qui attrapait parcourait l’Ouest sur son cheval noir nommé Satan, a écrit à sa fille.
Au moment de la rédaction de ces lettres, le père de sa fille, un justicier du far Ouest lui aussi, vient d’être tué. Il l’avait quittée pour une autre, mais selon Jane, leur amour était intact. Se retrouvant veuve, elle décide de faire adopter son bébé par un jeune couple aristocrate et éduqué, pour lui offrir une vie plus confortable que la sienne, rythmée part la cavale, la violence et la planque.
La petite grandit sans connaître l’identité de sa mère, même si Jane lui rend visite parfois, comme une simple amie de son « père ». Ces lettres, elle les écrit pendant 20 ans, dans un vieux carnet qu’elle trimballe partout dans ses errances et ses batailles, mais elle ne les envoie jamais. Elle les confie à sa mort au père adoptif de son enfant, qui s’occupera de la transmission.

C’est une lecture éclair (à peine 100 pages), et déchirante. Calamity Jane décrit ses journées à cheval dans les parcs naturels et le désert, elle raconte le manque qui lui creuse le ventre, le manque de sa fille, de sa chair. Elle lui note des recettes de cuisine, lui parle de ses réticences à se remarier pour ne pas appartenir de nouveau à un homme, et confesse qu’elle a appris à écrire et lire pour elle, pour être capable lui offrir ces lettres. Elle tient à ce que sa fille n’ait pas honte de sa mère, et défend farouchement ses valeurs et ses combats politiques, tente de faire taire les rumeurs qui la traitent de folle ou de femme aux mœurs légères.
Cette édition contient une lettre inédite du père adoptif de sa fille, qui clôture le livre, et qui m’a tiré des larmes.
Le livre se dévore, et reste.

Un mystère planerait sur l’authenticité de ces lettres: certains historiens (masculins…) pensent qu’elle était analphabète, et que tout cela n’est qu’un vaste canular, mais d’autres spécialistes comme Laure Noël, estiment que rien ne vient infirmer la possibilité que ces lettres soient bien celles de Calamity Jane. Elle écrit, je cite:
« Certes, peu d’historiens américains pensent que ces lettres ont été écrites par Calamity Jane, estimant qu’elle était de toute manière analphabète. Mais curieusement, personne n’a encore réussi à le démontrer de manière probante. D’ailleurs, la propriétaire actuelle des lettres, qui fut la première à les publier aux États-Unis en 1952, a fait authentifier l’encre et le papier utilisés comme datant bien du siècle dernier. »

Réelles ou fantasmées, ces lettres n’en restent pas moins bouleversantes. Et n’oublions pas que souvent, l’Histoire ne garde en ses pages que les traces des réussites masculines (Quid des infinis débats autour de Louise Labé par exemple, dont personne pendant des siècles ne voulait croire en son existence).

10) « Ô mon George, ma belle maîtresse » 
Sand-Musset

sand musset diglee

Bon il fallait quand même que je fasse un post « fixe » de ce livre, lu en 2015, puis relu cette année ainsi que sa version augmentée, « le roman de Venise ».
C’est l’un de mes livres totem, l’une de mes obsessions les plus brûlantes, un livre (une histoire d’amour…) qui m’a modelée à jamais, et qui continue de m’atteindre en pleine chair. À tel point que je suis partie seule sur leurs traces à Venise, cette année, en mars dernier. (Me voici ici dans le hall du palace qui les a accueillis en 1834…)

diglee venise danieli

J’en parle -non sans émotion- dans le podcast littéraire Book Club Louie (à partir de 21:12).

Sand et Musset se rencontrent alors que George Sand a bientôt 30 ans, est divorcée, et a déjà une certaine renommée. Musset lui, est un jeune poète fanfaron de 22 ans qui court les bordels et les soirées mondaines. Après plusieurs mois d’une cour effrénée de la part de Musset (qui a lu Lélia et admire la plume de George), les amants se cèdent, vivent quelques mois de rendez vous secrets à Paris puis décident de tout quitter (Sand a deux enfants déjà) pour filer à Venise et s’aimer loin du tout Paris qui les surveille. Ils arrivent à l’hôtel Danieli, et là, le drame commence.
Musset s’ennuie: le jeune chien fou a envie d’aventure et de romanesque, mais Sand est malade. Alitée, exsangue, elle le dégoûte. Dans ses élans de cruauté, il l’appelle même « l’ennui personnifié », « la bête », « la religieuse », et lui admet qu’il ne l’aime plus. Sand reste alitée plusieurs semaines, pendant que Musset court les bordels, se bat, revient en sang ou ivre chaque soir. Les amants se séparent, mais Sand n’ose pas partir et laisser Musset à sa débauche dans un pays dont il ne parle pas la langue. Elle reste. Et Musset tombe à son tour malade… là, la machine s’inverse, et Sand le veille. Elle envoie des lettres pour avoir de l’argent, et s’occupe de lui comme d’un enfant (Musset a des tendances suicidaires et hallucinatoires). Le médecin arrive pour les aider, et finalement, Sand le trouve très charmant. Elle annonce leur relation à Musset quand il est remis, et ce dernier quitte l’Italie vexé et anéanti.

sand musset -basse def
Tout aurait pu s’arrêter là.
Mais les amants sont incapables de se quitter. Ils se réécrivent, croient d’abord à une amitié possible, se félicitent de ce qu’ils ont réussi à mettre en place de doux et de bienveillant… puis ils se revoient au bout de six mois, et tout re-bascule.
Jusqu’à cette dernière lettre de Sand absolument déchirante…

Pour celleux que cette passion intéresse, je conseille de lire Le roman de Venise, bien plus complet encore, qui contient non seulement leurs lettres, mais aussi des extraits de journaux intimes de Sand ou des carnets de Musset, des lettres de leur entourages et à leur entourage… une réelle enquête littéraire et historique autour de leur relation.
Je conseille aussi de lire Elle et lui, mon roman favoris de Sand, qui raconte, vingt ans après les faits à la mort de Musset, les détails de leur relation déguisée en fiction.

roman de venise diglee  elle et lui

Le film de Diane Kurys, Les enfants du siècle, est aussi une belle adaptation du livre, avec Juliette Binoche et Benoît Magimel tous deux très convaincants (seule la fin, à mon sens, est inexacte, mais je chipote)

Affiche

Dans ma lubie obsessionnelle, j’ai aussi lu le journal intime de George Sand, pour m’approcher encore au plus près des rouages de cette sublime passion destructrice.
Sand et Musset, l’un des couples littéraire qui continuera de me hanter encore des années durant, j’en suis certaine…

Journal-Intime sand

Je pourrais en parler des heures, mais on continue ma liste 2019.

11) Seule Venise, Claudie Gallay

seule venise diglee claudie gallay

Je suis assez mitigée sur cette lecture.
J’ai déjà lu « la beauté des jours » de Claudine Gallay l’année dernière (dans ma lubie Marina Abramovic), que j’avais aimé, mais là je suis plus… dubitative. Étant moi même partie seule à Venise il y a quelques semaines, j’ai évidement adoré me replonger dans l’ambiance si particulière de la ville, et me remémorer certains instants poétiques vécus dans ses ruelles.
Le livre se déroule en hiver, Venise est déserte et froide, et ça, j’aime.
Mais j’ai trouvé le reste trop… cliché. Cette femme partie pour oublier un homme, qui se raccroche immédiatement à deux autres, à peine arrivée. L’un est l’archétype du père, âgé, cultivé, un peu dur, l’autre est l’archétype de l’intellectuel mystérieux et taiseux, séduisant, inaccessible. Dans les deux cas, ce sont eux qui dictent son voyage: ils lui disent quoi lire, où marcher, comment boire son vin, quoi écouter comme musique (et elle le fait!!)… C’est dommage, parce que si classique, si attendu: cette femme quittée qui tombe folle amoureuse d’un type en une semaine, et qui idolâtre un vieux monsieur parce qu’il lui fait penser à son papa….
Bref. Ça se lit très bien, très vite, il y a quelques jolis passages et une atmosphère agréable, mais j’avais un peu les yeux aux ciels toutes les deux pages.

12) Brève apologie de l’éloignement conjugal, Laurent Girerd

laurent girerd diglee

Pépite!!

Une amie m’a envoyé ce livre récemment.
C’est l’histoire de sa propre mère et de son nouveau compagnon qui, depuis plus de dix ans, après une rencontre électrique dans une librairie, vivent une passion amoureuse… à plus de 1000km. Ils sont mariés, amants, meilleurs amis, mais toujours séparés par les trajets en train et l’attente, la solitude, le manque (choisis).

C’est un merveilleux témoignage de ce que peut aussi être l’amour hors des cases, hors du carcan des habitudes et de la trivialité quotidienne: un amour qui fait débat, qui gêne parfois, dérange leur entourage.

Une déclaration d’amour poétique vertigineuse d’un homme à sa femme:

« tu ne peux pas m’être plus proche qu’en restant ma première destination.»

Merci @merrion_tenbeatsaminute pour la découverte!

12) Personne ne disparaît, Catherine Lacey

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Il est rare que je sorte de mes obsessions littéraires pour tenter des lectures dont je ne sais rien.
C’est pourtant ce qui s’est passé ici, lorsque Myriam Anderson, éditrice et traductrice chez Actes Sud m’a envoyé ce roman.
L’histoire d’une femme qui quitte tout, sa vie, son mari, son pays, sans revendication particulière. Juste parce que plus rien n’a de sens, parce que son quotidien ne la divertit plus, ne l’émeut plus, et parce que les angoisses et les souvenirs sombres prennent lentement le dessus.

Ce texte m’a rappelé « sans toit ni loi » d’Agnès Varda, avec cette femme rebelle seule sur la route, offerte au hasard et aux dangers, errant sans but, mais aussi « la fenêtre panoramique » de Richard Yates, avec son épouse étouffée par le trivial et le quotidien, qui cherche à s’échapper d’un couple condamné au désamour.
Le tout avec un décalage et un cynisme très New Yorkais, affûté et acide, une langue bavarde, suffocante, effrénée, sans pauses.

Lecture hybride détonnante, avec de vrais moments de grâce.

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13) L’usage de la photo, Annie Ernaux

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Une autre de mes lectures favorites de l’année.

J’avais raté ce texte d’Annie Ernaux (comment est ce possible??) dans son incroyable bibliographie.
C’est pourtant un de ces projets comme je les aime, qui mêle vie intime et projet artistique.
Jamais Annie Ernaux n’avait écrit sur le cancer du sein qu’elle a combattu vers 2003. La mort qui guettait, tapie, n’a jamais trouvé de forme littéraire acceptable aux yeux de l’écrivaine. Puis il y a eu cette histoire, une relation charnelle surtout, avec Marc Marie, un homme qu’elle rencontre au moment où elle commence sa chimio : comme une ode à la vie, un triomphe de la vie sur la mort, ils vont coucher ensemble, beaucoup, passionnément.

Le texte s’articule autour de photos que les amants ont pris de leurs vêtements abandonnés par terre en tas informes, comme rescapés d’une tempête.
Chacun décrit tour à tour une photo et les souvenirs qu’elle lui évoque, et ils ne se montreront leurs textes qu’à la fin du projet. Le résultat est stupéfiant, les souvenirs miroitent, et Annie trouve par ce biais détourné, le moyen d’accéder aux souvenirs plus traumatiques, du corps sondé, envahi, annoté, opéré. La citation d’ouverture est de Bataille, et elle résume l’essence de ce livre: « l’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort ».

Tout lire d’Annie Ernaux, TOUT.

14) Infidélités, Vita Sackville West

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Premier texte que je lis de Vita Sackville West, romancière, poétesse, essayiste, biographe, traductrice et jardinière britannique (comme la décrit sa page Wikipedia), connue entre autre pour avoir été l’amante et la confidente de Virginia Woolf. Leurs lettres sont d’ailleurs savoureuses!
Infidélités est un recueil de nouvelles, forme dont je n’ai pas l’habitude, qui regroupe plusieurs textes écrits entre 1922 et 1932 et publiés dans divers revues.
Six textes courts, qui se regroupent autour du non-dit, du vide, du secret qui ronge, de l’absence. Des amours contrariées, ratées, impossibles.

C’est plein de fleurs, d’embarras, d’élans contenus.
Très anglais, finalement.
Jolie lecture de printemps, mélancolique et acide.

15) Ma vie et mes folies, Peggy Guggenheim

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J’ai acheté ce livre au meilleur endroit possible: à Venise, dans sa maison-musée, là où elle est enterrée avec ses 14 chiens.
Instant magique, cette visite: je suis restée plus de trois heures sur place (l’avantage de voyager seule…), à errer dans les salles, m’assoir dans le jardin au soleil ou contempler le grand canal depuis sa terrasse, où trône la fameuse statue dont le pénis en érection était jadis amovible (jusqu’à ce qu’il soit un jour volé.)

J’ai fait durer la lecture le plus possible, déjà parce qu’elle me ramenait dans cette Venise qui m’a littéralement RAVAGÉE émotionnellement, mais aussi parce que Peggy a croisé absolument toute la sphère artistique de l’avant garde, période que je chéris, et que chacune des anecdotes concernant mes chouchous était savoureuse (Duchamp, mon amour).
J’ai découvert une femme étonnante, et pris la mesure de tout ce qu’elle a accompli et à quels risques, pour sauver l’art de son siècle, qui était alors dénigré par beaucoup. Même le Louvre a refusé de l’aider à cacher sa collection pendant la seconde guerre mondiale, estimant que les artistes en question ne méritaient pas le risque pris. On parlait quand même de Kandinsky, Miró, Picabia, Klee, Léger, Ernst, Tanguy, Magritte ou Mondrian.
C’était un témoignage passionnant, drôle, pas toujours tendre, mais savoureux.
Je l’ai quittée avec regrets.

Comme je le disais sur instagram, pour celleux qui veulent la découvrir sans forcément attaquer une biographie ou son autobio, il y a toujours la super bd que lui a consacrée Pénélope Bagieu, dans le tome 2 des culottées.
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16) J’ai un tel désir, Françoise Cloarec

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Lecture du week end, qui m’a laissée… partagée.

Le livre nous raconte le lien qui unissait la maman de Benoîte Groult, Nicole, et la peintresse Marie Laurencin.
Mais ce lien, justement, me semble parfois bien mal « nommé ».
Comme trop souvent en littérature, je trouve qu’on peine à bien parler d’homosexualité féminine, ou de bisexualité.

Marie et Nicole sont amoureuses: elles se désirent, s’aiment, sont fusionnelles même si mariées, chacune, évidemment (on est en 1910-15). Marie écrit à Nicole des choses comme « j’ai un tel désir de voir ton visage dans le plaisir… je pense souvent à cela »: mais l’autrice, pourtant tendre et bienveillante, s’évertue à qualifier ce lien d’ « amitié passionnelle », ou d’ « amour pur » et « sensible ». Elle souligne comme chacune est une femme libre et décomplexée, en désaccord avec les mœurs de son temps. Or on n’aime pas une autre femme pour être décadente: on l’aime parce qu’on ne peut pas faire autrement.
Tout le livre, j’ai eu du mal à comprendre ce qui rendait si difficile l’appellation de lesbienne ou de bisexuelle. Plusieurs lignes décrivent même les deux femmes comme étant « à l’opposé de l’idée que l’on se fait d’une lesbienne » (qu’elle est cette idée, je serais curieuse?). Comme s’il y avait UNE lesbienne, UNE manière de vivre l’amour entre femmes. En même temps, le livre se fait le témoin de cet amour, investi, charnel, profond (Nicole dira à Marie Laurencin qu’elle est « le père » de Benoîte Groult), et en même temps, parfois, certaines lignes sonnent faux, comme de rapprocher le fait que Marie Laurencin n’ait pas eu de père au fait qu’elle ne parvienne jamais à s’établir avec un homme. N’était-ce pas tout simplement parce qu’elle aimait les femmes, ou les deux genres…?
Bref: le texte est riche et documenté, l’autrice a rencontré Benoîte et sa famille, enquêté avec passion. Mais je trouve qu’on parle encore mal des femmes qui s’aiment. Qu’on cantonne trop l’amour entre femmes à un truc joli et rose, doux et sensible, coquet, alors qu’il peut être aussi complexe, moite et dévastateur qu’un amour femme-homme.

C’était malgré tout, ces maladresses mises à part, une lecture émouvante et passionnante.

17) La mère de ma mère, Vanessa Schneider

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J’ai acheté ce livre au salon du livre de Hyères où j’ai dédicacé cet été et où j’ai pu rencontrer la géniale Vanessa Schneider. Ce texte, c’est son premier livre édité, et c’est par lui que j’ai voulu commencer à la découvrir: la sève de toute l’œuvre d’un auteur est souvent contenue dans son premier roman.

Il est question ici de sa famille, des secrets, des non dits… de la notion de transmission.
L’autrice part à la découverte de la mère de sa mère, Clara, née à Port aux Princes en 1906. Elle l’appelle Clara plutôt que « grand mère », parce qu’elle ne l’a pas connue: elle la rencontre pour la première fois lorsqu’elle a trente ans, et découvre une petite femme dure et autoritaire, que sa fille (la mère de l’autrice) a fui parce qu’elle ne savait pas l’aimer.
On suit donc en parallèle le portrait de la mère puis de la grand mère de Vanessa Schneider, et les parcours de chacune sont semés de manques, de blessures, de vide. On mesure le racisme subit par Clara et sa fille lorsqu’elles arrivent en France. Les petits voisins et leurs parents qui refusent que l’enfant joue avec des cailloux, de peur qu’elle ne les salisse.
En enquêtant sur sa famille, Vanessa Schneider découvre ses racines, son patrimoine, son héritage. Elle explore sa part noire, la nature de son lien à sa mère, et à la maternité en général.
C’est un texte court, séquencé, efficace.
Touchant.

18) Celle que vous croyez, Camille Laurens

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Joli hasard que cette lecture!

Devant la librairie Le livre en Pente à Lyon, parmi une pile de livres à donner, j’ai repéré la tranche de collection blanche de la NRF, identifié qu’il s’agissait d’une autrice… et ça m’a suffit pour l’attraper.
Surprise, il était dédicacé!
Je l’ai emporté chez moi sans trop m’attarder ni sur le sujet ni sur l’histoire du livre.
Eh finalement quelle découverte!

Un texte étrange, haletant, tissé de réflexions féministes et de citations littéraires. Parfaite surprise!
L’héroïne, une prof de français quinca, raconte à un thérapeute ce qui l’a amenée à être ici, internée. Elle explique comment elle a créé un faux profil Facebook pour espionner son ex, et comment, de fil en aiguille, elle s’est finalement rapprochée de Christophe, un ami de ce dernier.

Le pitch parait simple, peu glamour et un peu trivial. Le style est oral, difficile à suivre les premières lignes. Pourtant très vite, Camille Laurens nous emmène dans le monde souterrain des doubles et des miroirs, des échos, de l’érotisme, des secrets. Elle joue avec la temporalité, le réel, le fantasmé. Elle questionne la place de l’écrivain qui se nourrit du vécu des autres pour enrichir ses récits, et elle jalonne son texte de punch lines féministes brillantes, sur le traitement réservé aux femmes de plus de quarante ans à qui l’on interdit le désir, la sexualité, et à qui l’on retire le droit d’être vues (coucou Yann Moix).

« Dans l’amitié comme dans l’amour, on est souvent plus heureux par les choses que l’on ignore que par celles que l’on sait. »
La Rochefoucauld

Un régal!

19) Les confidences, Marie Nimier

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Éblouissant. Magique. Obsédant.

En panne d’inspiration pour son prochain livre, Marie Nimier laisse une annonce un peu partout dans une petite ville: elle invite les gens, n’importe qui, à venir lui confier de manière anonyme un souvenir, une pensée, une phrase, un désir, un remords qui les hante. Quelques jours plus tard, elle s’installe dans un appartement vide prêté par la mairie pour l’occasion, pose un bandeau blanc sur ses yeux, et les individus défilent.
Les histoires s’enchaînent, bouleversantes, poétiques, malaisantes, étranges, tristes. La neige survient, le froid, et l’écrivaine se rend perméable à la chair chaude des souvenirs des autres.

Moi qui suis fascinée par la vie des gens, vivre à travers elle ce genre de moments de confession et de confiance (à l’instar de Sophie Calle qui demandait à des inconnus au cimetière de Brooklyn de lui livrer l’un de leurs secrets pour qu’elle l’enterre dans une tombe achetée pour l’occasion), cela me fascine, et me bouleverse.
J’ai plongé avec ravissement dans l’intime extraordinaire de personnes ordinaires, et j’ai été surprise, choquée d’y trouver tant de romanesque, tant de poésie. A t’elle brodé, a-t-elle joué à l’écrivaine et fantasmé le contenu de ces histoires? Elle dit que non. Que tout l’intérêt de ce livre réside dans l’authenticité de son contenu. Pas de mensonge. Pas de théâtre. Juste la sève secrète d’inconnus qui avaient besoin d’être entendus.

J’en tremble encore!

20) Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard

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Très très belle écriture.
L’écriture du désir et de la passion qui ravage.
Ça raconte l’histoire d’amour de la narratrice avec Sarah et ses yeux verts de serpent.
J’ai été happée par la première moitié du livre, que j’ai lu d’une (presque) traite… puis c’est devenu trop… sombre.
La chape de plomb s’est mise à peser trop lourd pour moi, et je suis restée un peu en dehors du désespoir qui terrasse la narratrice. Peut être que ce n’était pas le bon moment, peut être que mon coeur va mieux et qu’il résonne moins au chagrin des autres… mais certains passages sont d’une poésie incroyable, le style est incisif et acide, royal…
Merveilleuse découverte!

21) Charing cross road, Helene Hanff

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Récemment, avant de l’offrir, j’ai relu cette petite pépite.
Je l’avais lu une première fois vers 2009 (vous pouvez lire l’article que j’avais rédigé alors, sur mon ancien blog, ici!), et j’en avais un souvenir incroyable. Je l’ai relu d’une traite dans un café il y a quelque semaines, et la magie était intacte. (ci dessous le dessin que j’avais fait à l’époque!)

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Ce mini texte est une correspondance (réelle) entre Helene Hanff, une scénariste américaine cynique sans le sou, et Frank Doel, un libraire londonien, à la fin des années 40.
La seconde guerre est terminée mais l’Angleterre est encore rationnée et certaines denrées manquent.
Helene, passionnée de littérature, écrit à une librairie Anglaise pour leur demander un exemplaire d’un livre qu’elle peine à trouver aux États Unis. De cette demande triviale et informelle va naître une amitié littéraire hors norme. Leur correspondance, qui s’étale sur vingt ans, est une ode aux passionnés de livres rares et de littérature: un cri d’amour à tous ces gens que les mots guérissent.

La fin me serre la gorge à chaque lecture, j’ai pleuré avec délice dans ce café où je l’ai relu.

Une de ces histoires comme je les ADORE.
(Le livre a été adapté au cinéma en 1987 avec Anthony Hopkins!)

L’amie à qui je l’ai offert, Héloïse, en a fait une critique aussi sur sa page Instagram… Allez la lire!

Voilà pour la première partie: je vous prépare la suite dans les jours à venir.

Bonne première journée de 2020, et à très vite!

Littérairement vôtre,
Maureen

Commentaires

  • Violaine dit :

    Merci Diglee pour ce partage ! Je lis régulièrement tes chroniques sur instagram, mais avoir un endroit sur ce blog où toutes les regrouper est très pratique pour que nous lecteurs puissions les retrouver… Vive les blogs de toute façon 😉 Beaucoup de ses lectures me font envie : la correspondance entre Sand et Musset et les biographies et autobiographie de Dominique Bonna pour commencer. En 2019 grace à toi j’ai lu Benoîte Groult, Mon Evasion (grosse claque) et Le Mur Invisible de Marlen Haushofer (je suis moins entrée dedans). Pour 2020 ma pile à lire est déjà très très remplie, mais j’ai bien envie de piocher quelques inspirations dans cette liste à l’occasion ! Merci pour ce travail de compilation et belle journée !

  • Marie dit :

    Merci pour cet article tjs aussi passionnant de découvrir ces lectures !! Bonne année !

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