Aujourd’hui est un jour aussi symbolique qu’important.
Il est celui dédié non pas à « la femme », car il n’existe pas UNE femme qui en son simple corps résume les milliers d’autres, mais AUX femmes, et surtout à leur suffocation, à cet étau pesant qui les prive de droits et de libertés. D’égalité.
Non, le temps de lutte n’est pas révolu, oui les femmes sont invisibilisées, encore, violées, excisées, violentées, humiliées si souvent.
Dans ce combat parfois pesant et très souvent moqué, ma paix intérieure je l’ai trouvée en lisant des femmes, en lisant des destins de femmes. En cherchant l’anecdote, en cherchant le modèle, « comment elle a fait, elle, pour y arriver? ». J’ai trouvé de l’apaisement en me rapprochant des femmes, en appelant à la sororité.
Mot que mon correcteur d’orthographe me souligne encore en rouge, ignorant honteusement ce qu’est la solidarité entre femme, entre soeurs.
« Sororité ».
Ce besoin n’est pas neuf.
Il crie depuis longtemps, et même ici, sur ce blog.
J’ai parlé du poids et de l’influence de mes ancêtres femmes (dont certaines mériteraient tellement d’être dans des livres), de leurs amours, de leur force, de leurs drames, dans un billet sur l’amour.
J’ai illustré quelques unes des femmes célèbres qui m’ont aidée à me construire adolescente et jeune adulte, dans mon agenda 2015 et mon coffret de cartes postales.
J’ai gueulé, (en 2015 aussi, année de la révolte) sur de l’absence aberrante de femmes de lettres dans les sujets du bac de terminale littéraire, et à ce titre, j’ai énuméré les quelques autrices que je connaissais et qui mériteraient d’y figurer.
J’en citais peu. Trop peu.
Parce que bien qu’elles fourmillent et foisonnent, la culture les tait, et il faut aller les chercher. Quand on cite des autrices, on cite toujours les mêmes: Duras, Yourcenar, Triolet, Sagan & co.
Il faut fouiller, lire, écouter des émissions, enquêter, prendre le temps, pour déterrer les femmes. Et alors, la surprise est immense.
Plurielles et fantastiques, pleines de toute leur individualité et loin du cliché marketting infâme d’une littérature qui serait, par essence, « féminine ».
Cette urgence à CITER des femmes qui comptent, comme le fait merveilleusement bien Pénélope avec sa BD « Les Culottées » est viscérale: pas parce que les femmes sont plus intéressantes que les hommes, pas parce qu’elles écrivent mieux, pas non plus parce que leurs oeuvres se distinguent d’une quelconque manière de celles de leurs pairs masculins…
juste parce qu’elles e.x.i.s.t.e.n.t.
Et que le fait que ce soit une surprise est grave.
J’ai besoin de modèles, d’égéries, d’histoires racontées dans lesquelles les vainqueurs, non, les VICTORIEUSES (oui, la féminisation des termes est politique, et oui, je dis autrice et écrivaine et poétesse) seraient des femmes.
Parce qu’il serait temps que la balance soit rétablie, que ce que l’on apprend à l’école devienne incluant, devienne réaliste. Le monde, non, n’est pas fait que d’hommes, il est même plutôt bien équilibré. Il est fait d’individus multiples, et parmi ces individus, des femmes créent, au même titre que les hommes. Ce depuis la nuit des temps (la toute première poétesse, Sappho, vécut au 7e siècle avant J.C…)
Or la plupart ne franchissent pas la ligne de la culture populaire, des grands prix, de la célébrité, de la postérité. Ou pire, elles y parviennent de leur vivant, puis sont rapidement englouties par la réécriture permanente de l’histoire (par des hommes).
En ce moment je trouve surtout de l’apaisement dans la poésie.
J’ai toujours adoré la poésie, si proche du dessin, comme une petite hypnose fleurie qu’on va chercher au fond de ses yeux.
J’ai grandi avec les illustres Rimbaud, Apollinaire et Éluard. J’ai boudé Ronsard, que je trouvais niais.
Éluard, j’en fais encore mon pain quotidien, en témoigne ma récente exposition autour de ses vers.
En grandissant j’ai ajouté Mallarmé et Paul Valéry ou Walt Whitman à ce panthéon masculin.
Mais ces temps-ci, surprise: je découvre que les femmes elles aussi ont écrit de la poésie.
On ne me l’avait jamais dit.
J’ai fait tout un trimestre en 1ère littéraire sur la poésie, et on ne m’a rien dit.
Quand j’imaginais un poète, je pensais Shakespeare, je pensais Verlaine, je pensais homme, je pensais homme amoureux, désireux, épris, fou… ivre.
Était-ce tolérable d’entrer dans de telles transes, pour une femme?
Est-ce aussi bien vu pour une femme d’écrire sur son amour, sa passion, son déchirement?
C’est drôle parce que, sous la plume d’une femme, ces mêmes élans sont aussitôt qualifiés de « sentimentalistes » « féminins » « à l’eau de rose ». Heureusement, certaines poétesses font l’unanimité de la critique, et réussissent à me parvenir par le biais d’articles ou d’émissions. Aujourd’hui je lis toujours Éluard et Paul Valéry, mais je découvre éblouie Anna Akhmatova, Emily Dickinson, Anna de Noialles, Edith Boissonnas, Sylvia Plath, Marie de Hérédia, Louise Ackermann… Il y en a d’autres, plein, je le sais: je vais les trouver, je vais les lire, je vais choisir laquelle me plaît, laquelle résonne.
Pour ce 8 mars j’ai choisi d’illustrer les deux poétesses qui m’ont fait frémir ces jours-ci, dont la biographie, la plume, le parcours m’ont fascinée.
Pour clore ce long billet, je veux retranscrire ce poème d’Anna Akhmatova:
Le saule
J’ai grandi au milieu de calmes motifs
Dans une fraîche nursery du jeune siècle;
Je n’aimais guère la voix des hommes,
Mais je comprenais celle du vent.
J’aimais la bardane et l’ortie,
Et plus que tout le saule d’argent.
En reconnaissance il a vécu
Avec moi toujours, ses branches en pleurs
Semaient des rêves sur mes insomnies.
C’est étrange! Je lui ai survécu.
Voici la souche; les autres saules
Parlent aujourd’hui avec d’autres voix
Sous notre ciel, sous d’autres cieux.
Je me tais… on dirait que mon frère est mort.
1940 janvier.
Bonne journée à tou.te.s.
Maureen
Très bel article et magnifiques illustrations de grandes dames <3
Et merci de m'avoir fait découvrir un nouveau mot "sororité" je ne le connaissais pas! ^^'
Bonne journée à toi Maureen!! ^^
Merci pour ton article, essentiel.
Je découvre peu à peu également que les autrices existent, et la quantité de chef-d’oeuvre à côté desquels je suis passée toute ma vie me laisse confuse.
Ça fait un an que j’essaye de lire au moins autant de femmes que d’hommes, et je ne comprends même pas comment j’avais pu passer à côté de Doris Lessing, Sylvia Plath, Colette, Violette Leduc, Maya Angelou, Chimamanda Ngozi Adichie, Louise Labé, Xinran… pendant tout ce temps.
Et je suis en colère qu’on me dise parfois que non, on ne parle pas des écrivaines parce qu’il y en a pas, parce que ça ne vaut pas le coup, parce que ce n’est pas aussi « profond » que les romans des hommes.
Tes illustrations sont vraiment très belles, merci encore pour ce billet 🙂
C’est juste sublime, merci d’écrire avec autant de sincérité et de passion et de me faire découvrir ces femmes exceptionnelles.
Magnifique poème pour clore ce superbe article!
Ce poème est triste !! la chute !!
Très bel article
Si tu lis l’anglais, je te laisse ce poème que j’adore, il est de Eiléan Ní Chuilleanáin, une poetesse irlandaise. Il est encore plus beau lu à voix haute.
EARLY RECOLLECTIONS
If I produce paralysis in verse
Where anger would be more suitable,
Could it be because my education
Left out the sight of death?
They never waked my aunt Nora in the front parlour;
Our cats hunted mice but never
Showed us what they killed.
I was born in the war but never noticed.
My aunt Nora is still in the best of health
And her best china has not been changed or broken.
Dust has not settled on it; I noticed it first
The same year that I saw
How the colours of stones change as water
Dries off them after rain.
I know how things begin to happen
But never expect an end.
Dearest,
if I can never write “goodbye”
On the torn final sheet, do not
Investigate my adult life but try
Where I started. My
Childhood gave me hope
And no warnings.
I discovered the habits of moss
That secretly freezes the stone,
Rust softly biting the hinges
To keep the door always open.
I became aware of truth
Like the tide helplessly rising and falling in one place.
© 1986, Eiléan Ní Chuilleanáin
Magnifique, vous avez raison. J’ai grandi en Suisse mais nous n’avons étudié aucun auteur féminin, ni aucun auteur Suisse. C’est seulement à l’université que j’ai découvert des poétesses comme Anna Akhmatova ou Marina Tsvetaeva. Merci pour ce beau billet et bravo pour votre travail qui est toujours magnifique.
Merci pour cet article.
Je pense que tu es très suivie sur les réseaux et ici, donc je trouve ça super que fasses partie de ces personnalités qui parlent de sororité et de féminisme en général.
Effectivement c’est assez affolant de voir aussi peu d’auteures connues et reconnues du grand public. Je m’étais aussi fait la réflexion pour la poésie quand j’avais acheté le recueil de Pompidou, Anthologie de la poésie française, alors merci d’avoir parlé de ces auteures.
Bonne soirée
Bonne surprise de lire cette note ce soir 🙂 J’en profite pour parler d’un livre que je suis en train de lire, « Ceci est mon sang », d’Elise Thiebaut, petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font. Elle était ma prof, je l’aime beaucoup, féministe, drôle, magnifique, j’ai envie de partager l’existence de son livre. 🙂
Un super article ! J’apprécie beaucoup 🙂
Bonjour à toi !
Je suis en prépa littéraire et on parle encore peu d’écrivaines femmes… ou on les survole quand les oeuvres d’auteurs reconnus sont dépouillés minutieusement. Néanmoins à l’occasion d’un exposé sur la poésie, j’étais partie avec l’envie de faire une comparaison entre deux poétesses (un moment faut forcer le destin pour ce qui est des points communs, on allait en trouver, et ça c’est très bien passé !). J’ai ainsi découvert Andrée Chedid et Marina Tsvétaïéva, russe exilée, amoureuse passionnée et de son mari et de ses multiples conquêtes. Deux femmes libres, et ce travail a encore ajouté à ma curiosité. Voici donc deux noms que tu peux rajouter à tes explorations 😉
Rivale, un jour je te viendrai
Rivale, un jour je te viendrai ;
La nuit plutôt, au clair de lune,
Quand dans l’étang crie le crapaud,
Et quand délire la pitié.
Et attendrie par le battement
Jaloux de tes paupières,
Je te dirai : je ne suis pas,
Je suis un songe et tu me rêves.
Et je dirai – console-moi,
Mon cœur blessé se tord,
Et je dirai – le vent est frais,
Le ciel brûle d’étoiles.
Marina Tsvétaïéva
Continue ce que tu fais, tu es une des personnes auquel je pense quand je dois citer des femmes qui m’ont marquées !!
Bonne journée 🙂
Bonjour et merci pour ces paroles qui devraient faire réfléchir et méditer plus d’un(e).
Je voulais juste apporter mon expérience à ce sujet et montrer que la société commence à changer petit à petit dans le cadre de l’école.
En effet l’année dernière, en Première S, j’ai eu la chance d’étudier l’oeuvre intégrale de Louise Labé. J’ai éprouvé beaucoup d’admiration mais également beaucoup de fierté.
Voilà et merci encore.
Noémie.
Aujourd’hui j’ai lu un article sur Edmonde Charles-Roux, femme de caractère et courageuse, femme de mode et surtout femme de lettres. Issue de la haute société, elle devient infirmière pendant la seconde mondiale, puis résistante, elle obtient de hautes récompenses. Elle travaille ensuite pour Elle et Vogue (virée de ce dernier pour avoir voulu imposer une mannequin noire en couverture). Elle obtient le prix Goncourt en 66 pour son roman Oublier Palerme… Elle publie des ouvrages marquants, devient membre de l’académie Goncourt. Elle a été mariée à Gaston Defferre, ancien maire de Marseille, auprès duquel elle a eu une forte influence…on l’appelait la dame de fer…
De quoi donner des complexes 😉
Petite question, j’ai laissé un commentaire sur le post précédent mais il n’a pas été publié (pas bien grave)…Aurait-il été trop long?…
Tu sais, Maureen, ton article vient un peu apaiser ma souffrance de jeune femme dont ses ailes de critique littéraire et d’universitaire « in fieri » et sa dignité ont été détruites par…une femme. Une femme terrible et violente qui a tout fait pour m’humilier, pour me faire payer mon passé de violences familiales subies, pour dénigrer mon travail et toujours essayer de de l’anéantir. Te lire est une manière de me dire que non, pas toutes les femmes sont comme cette femme là; et que, non, pas toutes les femmes sont à défendre. Merci, vraiment. M.
Une belle journée, mais qui est aussi un peu déprimante. Les inégalités sont encore trop nombreuses, malheureusement…
Tu connais certainement Louise Labé? Grande poétesse du XVIème siècle, amoureuse, féministe et…lyonnaise 🙂
https://www.poesie.net/labe2.htm
Ton article me fait tellement plaisir ! Moi aussi depuis quelques années je lis plus de femmes, sans savoir vraiment pourquoi, mais finalement je me rends compte que je cherchais une autre voix, d’autres expériences. Et maintenant il me semble que je peux enfin avoir des « role models » qui me ressemblent, qui parlent pour moi. Je suis en train d’écrire mon mémoire de Master d’anglais sur des femmes peintres victoriennes et c’est génial à écrire et aussi à faire les recherches pour en apprendre plus sur elles.
J’ai lu ton texte, lu le poème, chargé une autre page.
A peine quelques secondes plus tard, je sens mes yeux qui picotent.
Je retourne sur ton site, me noyer dans ton texte et le poème d’Anna Akhmatova, je pleure comme une madeleine.
Merci. Merci d’être un de mes modèles; merci de m’avoir ouvert les yeux; merci de m’aider à m’accepter et à prendre les armes pour ces droits que l’on nous a refusés.
Un super article ! très intéressant.
merci
Hello Diglee,
voilà bien longtemps que je n’avais pas parcouru ton blog (depuis que les flux RSS se sont éteins). Et je (re)découvre avec bonheur une femme qui me parle davantage : merci de dessiner des femmes de toutes les formes, des vraies femmes, d’avoir poussé le détail jusque dans les traits de ton visage (je me rappelle de l’époque où ton avatar n’avait pas de nez), merci de partager tes échanges avec les éditeurs qui préfèrent les couvertures avec des standards creux et de refuser de participer à ceux-ci. Merci pour ton courage, mais surtout pour la sincérité de tes émotions. ça fait du bien de lire ça ! On est en permanence construit par les images qui nous entourent, partout partout partout. J’en ai marre de culpabiliser lorsque je passe devant les pubs de sous-vêtement alors que je ne porte même pas de soutient-gorge, ou de culpabiliser devant les robes d’été parce-que je ne m’épile pas. Seules des images (photos et illustrations) (et un amoureux qui aime les choses naturelles aussi <3 ) m'ont permises de ne plus me sentir comme un extraterrestre et de pouvoir assumer mon corps.
Merci pour ce regard que tu fais grandir en toi et que tu mets dans tes images.
à te lire avec plaisir, bien à toi.
C’est vrai que on en parle pas assez et cela tombe dans la banalité pourtant on s’est battu pour les avoirs ! Alors pourquoi ne pas en être fière maintenant ?
Merci à toi d’en parler 🙂
Va faire un tour du côté des auteures italiennes. Surtout du mi-20ème siècle.
Lutter pour les droits (Naturels) de la Femme, c’est œuvrer pour le bonheur de tous.
https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.fr/
Cordialement.
Joli article dans Libe! felicitation
Très bel article. Merci beaucoup. ça fait du bien de lire votre article.